Analyses détaillées des retards : un retour à la réalité
Introduction
Les retards sont une source fréquente de litiges dans les projets de construction. Il est donc souvent nécessaire de procéder à des analyses détaillées des retards afin d’en déterminer la cause et, si possible, d’en attribuer la responsabilité. Il existe de nombreuses méthodes pour calculer les retards dans le cadre d’une analyse détaillée des retards. Des associations professionnelles telles que l’Association for the Advancement of Cost Engineering International (AACEi) et la Society of Construction Law (SCL) ont publié des pratiques et protocoles qui recommandent diverses méthodes d’analyse des retards et des perturbations, ainsi que d’autres problèmes affectant les échéanciers. Utiliser ces pratiques recommandées confère de la crédibilité aux analyses détaillées des retards.
Cet article n’a pas pour but de discuter de la méthode d’analyse des retards la plus appropriée en fonction des documents de projet disponibles. Nous y mettrons plutôt l’accent sur l’importance d’une confirmation par les faits, quelle que soit la méthode utilisée. Pour ce faire, nous utiliserons l’analyse contemporaine par période, souvent appelée analyse « par fenêtres » (windows analysis), car cette méthode a gagné en popularité en raison de son acceptation dans les décisions des tribunaux américains au fil des ans.
La confirmation par les faits de l’analyse détaillée des retards
En bref, l’analyse par fenêtres consiste à diviser la durée du projet en fenêtres, et à comparer les mises à jour des échéanciers élaborées au début et à la fin de chaque fenêtre. En analysant le chemin critique d’une fenêtre donnée, l’analyste peut identifier les activités à l’origine des écarts entre les deux mises à jour de l’échéancier. En fonction de la nature du retard, la responsabilité pour le retard peut être attribuée à une, ou plusieurs parties. Ce processus est répété jusqu’à ce que toutes les fenêtres aient été analysées. L’analyste consigne généralement ses conclusions dans un tableau au fur et à mesure de l’analyse des différentes fenêtres.
L’analyse par fenêtres a été considérée comme une méthode privilégiée parce qu’elle s’appuie sur des échéanciers de projet contemporains qui, en théorie, fournissent à l’analyste une perspective en temps réel du chemin critique à des moments spécifiques du projet. C’est pourquoi les analystes se tournent souvent vers cette méthode d’analyse. Cependant, trop souvent, l’analyse par fenêtres est effectuée de nom seulement, et ne tient pas compte du déroulement réel du projet.
Pour tirer pleinement parti d’une analyse par fenêtres, l’analyste doit s’assurer que la documentation contemporaine du projet reflète effectivement l’avancement réel du projet et la logique de l’échéancier. Or, les analystes prennent souvent ces facteurs pour acquis, ce qui aboutit à des conclusions qui défient le bon sens, ou qui ne tiennent pas compte des véritables causes des retards du projet.
Il est important de souligner que les analyses détaillées des retards devraient toujours être basées sur les faits et corroborées par la documentation de projet. L’on notera en outre que les différentes méthodes d’analyse ne sont que des outils qui servent à calculer les retards. Ainsi, quelle que soit la méthode utilisée, on ne saurait trop insister sur l’importance de la « confirmation par les faits » lors de la réalisation d’analyses détaillées des retards. Un examen des faits permet de s’assurer que les conclusions de l’analyse seront logiques et en cohérence avec la réalité du projet.
Les impacts négatifs potentiels d’une analyse par fenêtres inadéquatement réalisée ne pouvant tous être abordés dans cet article, nous mettons plutôt en lumière deux problèmes fréquemment observés dans ce type d’analyse. À cette fin, nous utilisons une étude de cas pour montrer comment :
- La durée réelle des retards peut s’avérer plus courte qu’initialement prévu.
- La logique de l’échéancier peut amener des activités à être identifiées par erreur comme étant celles qui déterminent le chemin critique.
L’étude de cas démontre également comment une analyse tel que planifié versus tel que construit, utilisée de pair avec l’analyse par fenêtres, peut s’avérer un outil utile pour identifier et surmonter ces problèmes.
Étude de cas
Dans cette étude de cas, trois périodes (ou « fenêtres ») sont analysées afin de déterminer les retards critiques à des moments précis du projet. Pour les besoins de cette étude de cas, nous examinons une version simplifiée de l’échéancier qui se concentre uniquement sur les activités d’aménagement intérieur (travaux généraux dans les plafonds, cloisons sèches, tirage de joints et peinture, ainsi que les finitions intérieures).
Fenêtre 1
La première fenêtre d’analyse se déroule entre juin et juillet (en ombragé gris clair), comme le montre la Figure 1. Les activités de l’échéancier de référence préparé à la fin du mois de mai (la mise à jour de l’échéancier au début de la fenêtre) sont indiquées en gris, et les activités de la mise à jour de l’échéancier de la fin juillet (à la fin de la fenêtre) sont indiquées en doré.

Figure 1 – Représentation graphique de l’analyse de la Fenêtre 1 comparant les mises à jour de l’échéancier de mai à juillet
La comparaison de ces deux échéanciers fait apparaître un retard de 1,5 mois à l’achèvement substantiel. Au cours de cette période, la seule différence entre les deux échéanciers est l’ajout de deux activités relatives à une instruction supplémentaire (IS), représentée en noir à la Figure 1, qui exigeait que l’entrepreneur fasse l’acquisition et l’installation d’une nouvelle sculpture d’extérieur.
Selon la mise à jour de l’échéancier de juillet, l’achèvement substantiel ne pouvait être atteint avant l’installation de la sculpture. De ce fait, l’achèvement substantiel a été retardé de 1,5 mois.
Fenêtre 2
La deuxième fenêtre d’analyse a lieu entre août et septembre, comme le montre la Figure 2.

Figure 2 – Représentation graphique de l’analyse de la Fenêtre 2 comparant les mises à jour de l’échéancier de juillet à septembre
L’acquisition de la sculpture, qui devait initialement prendre près de quatre mois, n’a en fait pris qu’environ un mois, permettant l’installation de la sculpture en août plutôt qu’en octobre et novembre, comme prévu précédemment.
Au cours de cette fenêtre, les travaux de finitions intérieures ont été affectés par un retard indépendant et ont donc pris plus de temps que prévu, se prolongeant jusqu’au début novembre. Toutefois, malgré la durée plus longue que prévu des travaux de finitions intérieures, l’achèvement substantiel n’a pas subi de retards additionnels par rapport à la fenêtre précédente. En conséquence, selon l’analyse par fenêtres, le projet n’a accumulé aucun retard supplémentaire, comme le montre le tableau ci-dessus.
Fenêtre 3
La troisième fenêtre d’analyse se situe entre octobre et décembre, comme le montre la Figure 3.

Figure 3 – Représentation graphique de l’analyse de la Fenêtre 3 comparant les mises à jour de l’échéancier de septembre à décembre
Dans cette fenêtre, les travaux de finitions intérieures continuent d’être retardés, repoussant l’achèvement substantiel d’un mois de plus.
Conclusions de l’étude de cas
Au terme de cette analyse par fenêtres simplifiée, l’analyste conclut que le projet a été retardé de 2,5 mois, dont 1,5 mois est imputable à la nouvelle sculpture, et 1 mois à l’avancement plus lent que prévu des travaux de finitions intérieures.
Éviter les pièges
Il serait toutefois erroné de conclure l’analyse des retards à ce stade, car, comme le démontre la Fenêtre 2, dans les faits, l’installation de la nouvelle sculpture n’a pas retardé le projet. Ce sont plutôt d’autres facteurs sans lien avec la sculpture qui ont retardé les travaux. Cet exemple montre bien comment une acceptation aveugle des résultats d’une analyse par fenêtres sans examen des faits à l’appui peut aboutir à des conclusions erronées, ou déconnectées de la réalité.
En fait, de tels résultats devraient avoir soulevé certaines questions, telles que :
- La durée projetée pour l’acquisition de la nouvelle sculpture était-elle réaliste?
- Des mesures d’atténuation ont-elles été mises en œuvre pour accélérer l’installation de la nouvelle sculpture, lesquelles seraient reflétées dans les futures fenêtres?
- La logique de l’échéancier était-elle raisonnable? Était-il cohérent de lier l’installation de la nouvelle sculpture à l’achèvement substantiel?
Le protocole de la SCL met de l’avant l’importance de la confirmation par les faits, mais les analystes omettent fréquemment de considérer l’incidence de ces facteurs lorsqu’ils effectuent des analyses par fenêtres.
Pour chaque [mise à jour de l’échéancier], l’analyste doit vérifier que les composants historiques reflètent la progression réelle des travaux et que les séquences futures et durées pour les travaux sont raisonnables, réalistes et réalisables, et logiquement liées dans le logiciel.1
En ayant recours à une analyse tel que planifié versus tel que construit en complément de l’analyse par fenêtres, comme le montre la Figure 4, on obtient des réponses à bon nombre des questions susmentionnées. Par exemple, la durée prévue pour l’approvisionnement (comme indiqué plus haut dans la mise à jour de l’échéancier de juillet, à la Figure 1) ne semble pas réaliste – la durée réelle a été d’un mois, alors que la durée prévue était de quatre mois. En outre, l’avancement réel du projet révèle que la nouvelle sculpture a été installée bien avant l’achèvement substantiel, ce qui signifie que même en l’absence de tout autre retard, le projet n’aurait tout de même pas été affecté par ce changement. L’analyse tel que planifié versus tel que construit fait apparaître que la cause de retard principale du projet a été la durée prolongée des travaux de finitions intérieures, et que l’installation de la nouvelle sculpture n’a jamais été déterminante pour l’achèvement substantiel. Plus spécifiquement, l’analyse tel que planifié versus tel que construit, corroborée par l’examen de la documentation du projet, révèle que les 2,5 mois de retard sont entièrement imputables à la durée prolongée des travaux de finitions intérieures. Une acceptation aveugle des résultats de l’analyse par fenêtre sans confirmation par l’examen rigoureux de la documentation de projet n’aurait sans doute pas permis d’en arriver à cette conclusion.

Figure 4 – Représentation graphique des échéanciers tel que planifié versus tel que construit
Conclusion
Bien que notre étude de cas se soit concentrée sur la méthode d’analyse par fenêtres, l’application aveugle d’une méthode d’analyse des retards sans ancrage dans la réalité du projet est un piège qui met à risque la validité de toute analyse des retards, quelle que soit la méthode utilisée.
Il est important qu’une analyse des retards soit à la fois logique et représentative du déroulement réel du projet. S’assurer de la précision et de la fiabilité d’une analyse des retards est crucial, car c’est de celle-ci que dépend une compréhension adéquate des retards du projet. Toute analyse des retards devrait donc être corroborée par un examen des faits afin de confirmer sa validité et sa pertinence.
Les causes de retard importantes ne devraient pas être sous-estimées, car elles peuvent avoir des impacts considérables sur la durée totale et le déroulement du projet. À cette fin, un examen attentif de la documentation de projet est nécessaire afin de s’assurer que les causes de retard importantes ont toutes été adéquatement prises en compte.
Le chemin critique devrait être examiné de près pour s’assurer qu’il reflète fidèlement les activités principales, et que la logique du projet y est réaliste.
L’un des moyens les plus efficaces de s’assurer de la validité d’une analyse des retards est d’effectuer une analyse tel que planifié versus tel que construit. Cette méthode simple de confirmation par les faits s’avère souvent très utile. Une telle analyse permet de mieux détecter les écarts et d’identifier les composantes d’une analyse des retards qui pourraient fausser la représentation des conditions réelles du projet.
Pour conclure, afin qu’une analyse détaillée des retards donne des résultats valides, une approche méticuleuse et exhaustive, ancrée dans la réalité et fondée sur des prémisses raisonnables est essentielle, et ce, peu importe la méthode utilisée.
- Society of Construction Law, Protocole Retard et Perturbation, version 2 (septembre 2021), p. 44 [Italiques dans l’original] Traduction française du document « Delay & Disruption Protocol », 2e édition (février 2017).
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