septembre 2022 Vol. 36, no 3

Attribution de la responsabilité pour les retards dans les projets complexes

Cet article porte sur certains facteurs et considérations découlant de la croissance de l’envergure et de la complexité des
projets de construction qui peuvent brouiller la compréhension ou l’interprétation par les parties de leurs rôles, responsabilités
et risques. Nous réfléchissons ensuite à la manière dont cela peut influencer l’analyse de la responsabilité dans les retards.

Introduction

Au cours de la dernière décennie, l’envergure des projets de construction tant publics que privés a connu une croissance exponentielle, et les projets d’un milliard de dollars sont ainsi désormais la norme. Les modes de réalisation des projets et les contrats de construction ont aussi évolué de manière significative.

Parallèlement à ces développements, les parties engagées dans ces grands projets de construction ont également subi des transformations. De plus en plus, on a vu les entreprises de construction, de même que les firmes d’ingénierie, se regrouper ou former des consortiums pour répondre aux nouvelles demandes du marché. Cette combinaison de projets de plus grande envergure et de nouveaux modes d’exécution requiert des équipes de projet plus importantes et parfois intégrées, dotées d’un plus large éventail de compétences, ainsi que des assises financières plus solides qui doivent permettre d’assumer les risques associés à la gestion d’un portefeuille de projets de grande envergure.

Cela a conduit à une mondialisation du secteur de la construction en général, où il est devenu plus courant de voir des équipes de projet composées de firmes internationales.

Prises dans leur ensemble, ces évolutions récentes dans le secteur de la construction ont créé un environnement où les rôles, les responsabilités et les risques des différentes parties ne sont plus clairement définis et peuvent s’avérer de plus en plus difficiles à départager avec précision. Un tel environnement de projet introduit une couche de complexité supplémentaire dans l’analyse des retards lorsqu’ils se produisent.

Analyse des retards

En termes simples, l’analyse des retards se compose de deux étapes principales : la quantification des retards et l’attribution des parts de responsabilité dans ces retards.

La première étape de l’analyse des retards consiste en l’examen de l’échéancier du projet, la détermination des activités retardées et la quantification des retards en termes de jours, de semaines ou de mois.

L’étape suivante, peut-être plus importante encore, consiste en l’analyse factuelle de la documentation de projet en vue de comprendre les causes de retard dans
tous leurs détails afin de pouvoir attribuer et répartir de manière adéquate les parts de responsabilité dans le retard entre les parties.

Plus l’envergure et la complexité des projets deviennent importantes, plus il peut devenir difficile de réaliser les deux étapes de l’analyse des retards.

Les facteurs clés qui peuvent contribuer à cette complexification de la quantification des retards et de l’attribution de la responsabilité dans les retards sont examinés ci-dessous.

Quantification des retards

En raison de la taille croissante des projets, les échéanciers de projet ont augmenté en taille et en complexité. Les échéanciers qui présentaient auparavant quelques centaines d’activités avec des séquences de travail relativement faciles à suivre comptent maintenant des dizaines de milliers d’activités avec des relations logiques complexes.

Le nombre considérable d’activités dans un calendrier (lesquelles comprennent souvent la conception et les approbations, l’approvisionnement, la construction et la mise en service), ainsi que les relations logiques complexes (telles que les délais de démarrage et les temps morts – leads and lags – ou les contraintes), peuvent rendre plus difficile la quantification des retards dans le cadre de projets complexes.

Cela dit, bien que ceux-ci présentent davantage d’activités, de parties et de relations qui doivent être prises en considération, sur le fond, l’approche de quantification des retards dans le cas de projets complexes demeure similaire à celle de tout autre projet, à savoir l’application de méthodes d’analyse classiques ou reconnues par l’industrie de la construction. De ce fait, cette difficulté à quantifier les retards dans le cadre de projets complexes peut être résolue par des praticiens compétents.

Attribution des parts de responsabilité dans les retards

L’analyse factuelle de la documentation de projet, nécessaire pour comprendre les causes de retard dans tous leurs détails, et, en fin de compte, pour attribuer et répartir de manière adéquate les parts de responsabilité dans les retards entre les parties, tend à être plus élaborée dans le cas des projets complexes.

Cela découle principalement des changements précédemment évoqués que connaît le secteur de la construction et des zones d’ombre qui en résultent dans la répartition des rôles, des responsabilités et des risques entre les parties. L’attribution des retards nécessite donc souvent une approche plus nuancée que celle que requiert leur quantification.

De nombreux facteurs contribuent collectivement et simultanément à brouiller la répartition des rôles, des responsabilités et des risques. Ces facteurs comprennent notamment : 1. le caractère unique des projets complexes; 2. l’absence de formules de contrats normalisées; 3. l’évolution des modes de réalisation des projets; 4. la participation d’intervenants provenant de différentes parties du monde; et 5. le recours à des technologies émergentes.

Ces facteurs génèrent des ambiguïtés qui risquent de susciter de la confusion dans les pratiques ou les façons établies de faire des affaires, et d’éventuelles divergences dans la compréhension ou l’interprétation des rôles, responsabilités et risques des parties.

1. Caractère unique du projet

Les projets de construction hors norme peuvent présenter des défis pour l’attribution de la responsabilité dans les retards. Ces projets sont par nature « uniques », et à ce titre, ils présentent souvent des modes de conception et de construction qui leur sont propres. Les équipes de projet peuvent ainsi devoir composer avec peu, ou même pas de bases de référence ou de normes établies pour les orienter relativement à la répartition des rôles, des responsabilités et des risques, ou la manière dont certaines questions ou interfaces, qu’elles soient techniques, organisationnelles, contractuelles ou autres, doivent être gérées.

Les risques sont-ils transférés de manière claire et adéquate pour les problèmes qui peuvent survenir lors de la mise en œuvre d’une conception inédite et non éprouvée? Le partage des risques est-il bien compris par l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage?

2. Formules de contrats non normalisées

Plutôt que des formules de contrats normalisées, les projets complexes de grande envergure sont généralement encadrés par des contrats atypiques, spécifiques au projet. La répartition des responsabilités contractuelles et de l’étendue des travaux entre les différentes parties, telles que décrites dans le contrat, peuvent ainsi différer d’un projet à l’autre.

Par exemple, la responsabilité de l’acquisition du matériel roulant pour un projet de transit ferroviaire pourrait incomber soit au maître de l’ouvrage soit à l’entrepreneur, selon le projet. De façon similaire, dans le cadre d’un projet hydroélectrique, la responsabilité de la conception, de l’approvisionnement et des essais de performance de l’équipement de production pourrait aussi bien être assumée par le maître de l’ouvrage, que confiée à l’entrepreneur. La répartition de ce type de responsabilités peut varier même dans les cas où deux projets ont des étendues de travaux très similaires, ou si les projets sont réalisés pour un même maître d’ouvrages.

L’absence de formules contractuelles normalisées dans le cadre de ces projets complexes peut compliquer non seulement la gestion du projet de construction lui-même, puisque certains membres des équipes de projet peuvent n’être pas familiers avec la répartition des responsabilités et les exigences de performance spécifiques au projet, mais également le traitement et l’attribution de la responsabilité dans les retards lorsque des problèmes surviennent. Là encore, il est possible qu’il n’y ait pas de base de référence sur laquelle tous les membres des équipes de projet pourraient s’appuyer.

L’absence de contrats normalisés fait peser une plus grande responsabilité sur les parties, et ce, tant pour le maître de l’ouvrage que pour l’entrepreneur, quant à l’exigence de communiquer de manière claire et efficace les termes des contrats et les particularités qu’ils contiennent aux membres de leurs équipes de projet respectives.

De la formation et de la sensibilisation aux spécificités des termes contractuels peuvent contribuer à instaurer entre les membres des équipes de projet la cohésion nécessaire à prévenir un retour à leurs modus operandi habituels découlant de leur compréhension propre de leurs rôles, responsabilités et risques, peut-être sous l’influence de leurs expériences de projets antérieurs.

3. Modes de réalisation des projets

Pour répondre aux besoins générés par la croissance précédemment évoquée de la taille et de l’expertise des équipes de projet, les modes d’exécution des projets ont rapidement évolué, introduisant de ce fait des zones grises dans la compréhension par les parties de la répartition des rôles, des responsabilités et des risques.

Par exemple, dans les projets réalisés en mode conception-soumission-construction, le maître de l’ouvrage et ses consultants sont responsables de la conception. Il s’avère ainsi relativement simple de déterminer la responsabilité dans les retards lorsque surviennent des problèmes liés à la conception.

En revanche, pour les projets de type conceptionconstruction, EPC ou P3, la responsabilité de la conception incombe au consortium de l’entrepreneur. Pour leur part, le maître de l’ouvrage et ses consultants ne sont généralement responsables que de l’examen de la conception soumise pour vérifier sa conformité aux exigences du contrat, et de l’acceptation officielle de celle-ci lorsqu’ils l’ont jugée conforme. En cas de retard dans le processus d’examen de la conception, on peut se demander si les commentaires du propriétaire n’imposent pas une conception différente, au lieu de se limiter à la détermination de non-conformités aux exigences du contrat.

Là encore, la formation des équipes de projet, y compris celle des équipes de conception, et leur sensibilisation aux spécificités des conditions contractuelles peuvent contribuer à l’exécution efficace du projet.

Dans tous les cas, l’attribution de la responsabilité dans les retards nécessite une analyse approfondie du processus de revue de la conception, et ce, tant de ses aspects techniques que contractuels.

4. Mondialisation de l’industrie de la construction

Comme il est précédemment mentionné, le secteur de la construction se mondialise, et par conséquent, les équipes de projet sont souvent composées de firmes d’ingénierie ou de construction basées en différents points du monde. Si cette situation offre de grandes possibilités de collaboration et de partage des connaissances techniques, elle peut également faire ressortir des différences dans les cultures et les pratiques commerciales des diverses parties du monde.

Les parties ayant des antécédents différents introduisent souvent des façons différentes, et parfois contradictoires, de faire des affaires. Leur compréhension de leurs rôles, responsabilités et risques, sans parler de l’application des normes de conception et des meilleures pratiques, peuvent grandement différer en fonction de leur expérience.

Ces constats peuvent également s’appliquer aux soustraitants locaux qui ne sont pas nécessairement familiers avec les approches et les pratiques commerciales des grands consortiums internationaux.

Est-il possible que les contrats de construction puissent prendre en considération ces facteurs intangibles de l’environnement du projet?

5. Technologies émergentes

Les technologies émergentes, notamment les logiciels de collaboration en matière de conception, sont utilisées de plus en plus fréquemment, en particulier dans le cadre de projets complexes et de grande envergure. Il ne fait aucun doute que ces technologies, si elles sont employées et gérées adéquatement, aident à visualiser et à optimiser la conception. Cependant, les pratiques normalisées de conception à l’aide de nouvelles technologies (comme la modélisation des donnés du bâtiment « BIM ») ne sont pas encore suffisamment développées, et les meilleures pratiques qui devraient pouvoir servir de référence aux parties quant à la détermination de leurs rôles, responsabilités et risques associés n’ont pas encore été complètement élaborées.

Par exemple, un entrepreneur peut-il se fier à un modèle BIM 3D préparé par les consultants du maître de l’ouvrage ou devrait-il créer son propre modèle? Quelle partie est alors responsable de la coordination spatiale de la conception ou de la conception globale du projet?

Quelques réflexions en guise de conclusion

Alors que les projets de construction continuent de croître en taille et en complexité, des défis supplémentaires se présentent et de nouveaux facteurs doivent être pris en compte dans l’analyse des retards.

Alors que la complexité de la quantification des retards peut être surmontée par le recours à des approches classiques, l’attribution de ces retards requiert souvent une approche plus nuancée, principalement en raison des changements que connaît le secteur de la construction et des zones grises qui en résultent en ce qui a trait à la répartition des rôles, des responsabilités et des risques entre les parties.

Alors que l’industrie tente de relever les défis posés par les projets complexes, une collaboration étroite entre les consultants en réclamations ou les spécialistes de l’analyse détaillée des échéanciers, les experts techniques et les équipes juridiques s’avère importante pour départager les causes des retards et en attribuer la responsabilité de manière adéquate.

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