septembre 2025 Vol. 39, no 4

De qui relève la conception, au juste?

Le rôle de l’Ingénieur du Propriétaire dans les projets de conception-construction

En fonction du mode de réalisation retenu, l’Ingénieur du Propriétaire (IP) (Owner’s Engineer (OE)) assumera différents rôles et responsabilités et supervisera divers livrables tout au long du cycle de vie du projet, depuis la phase d’étude de faisabilité jusqu’à la mise en service et la remise de l’ouvrage.

Le rôle de l’IP selon les différents modes de réalisation des projets

Projets réalisés en mode conception-soumission-construction

Dans le cadre des projets réalisés en mode conception-soumission-construction, l’IP agit initialement en tant qu’Ingénieur Responsable de la Conception (IRC) (Engineer of Record (EOR)), puis éventuellement en tant qu’administrateur de contrat pour le Propriétaire. Le rôle de l’IRC consiste à élaborer une conception conforme en vue du processus d’approvisionnement. Même si le Propriétaire n’a pas toujours l’expertise technique qui lui permettrait de remettre en question les aspects détaillés de la conception émise pour soumission, il doit s’assurer que ses exigences générales sont respectées et qu’il est satisfait des solutions de conception proposées par l’IRC. Il s’agit là de responsabilités fondamentales du Propriétaire, car les modifications apportées à un stade ultérieur pourraient engendrer d’importantes augmentations des coûts du projet.

Après l’attribution du contrat, l’IRC est responsable de l’élaboration des plans et spécifications définitifs émis pour construction. Le soumissionnaire retenu prépare ensuite des documents techniques, tels que les dessins d’atelier, les fiches techniques, etc., afin de démontrer la conformité des travaux aux exigences et spécifications du contrat.

En tant qu’IRC, l’IP procède généralement à l’examen et à l’approbation des documents techniques soumis par l’entrepreneur, afin d’en vérifier la conformité avant d’autoriser le début des travaux.

Dans les cas où la responsabilité de la conception d’un élément ou d’un système spécifique est déléguée à l’entrepreneur, comme pour les ouvrages de soutènement, les ouvrages temporaires ou les éléments des ouvrages permanents conçus par l’entrepreneur (conception déléguée), l’examen de l’IP vise principalement à garantir la performance et la conformité contractuelle de ces éléments.

Projets réalisés en mode conception-construction

Les projets réalisés en mode conception-construction, qui englobent notamment les partenariats public-privé (PPP) et les projets d’ingénierie, approvisionnement et construction (IAC), se distinguent des projets réalisés en mode conception-soumission-construction en ce que, pour ce type de projets, la conception détaillée relève du Design-Constructeur   (aussi connu sous le terme « concepteur-constructeur ») et non de l’IP, et qu’elle est réalisée après l’octroi du contrat.

Afin de lancer un appel d’offres pour un projet de ce type, l’IP élabore le devis de performance qui définit le résultat final auquel le projet doit satisfaire. Le Design-Constructeur retenu doit interpréter ces exigences, et s’assurer que sa conception détaillée y soit conforme.

Dans les projets réalisés en mode conception-construction, la seule responsabilité de l’IP en matière de conception est la revue de conception du Design-Constructeur, incluant la vérification de sa conformité au devis de performance et aux exigences du contrat. La revue effectuée par l’IP ne constitue généralement pas une acceptation formelle de la conception du Design-Constructeur, mais vise plutôt à formuler des commentaires ou à soulever des réserves au fur et à mesure de l’évolution de cette dernière.

Processus de revue de conception – Quelques clarifications

Dans les projets réalisés en mode conception-soumission-construction, les rôles, responsabilités et attentes des parties, notamment en ce qui concerne la conception, sont – du moins en théorie – relativement bien définis.

À l’inverse, puisque l’élaboration de la conception détaillée d’un projet réalisé en mode conception-construction n’intervient qu’après l’attribution du contrat et se réalise progressivement en cours de projet, on constate de plus en plus fréquemment des tensions entre le Design-Constructeur et l’IP durant le processus itératif de conception.

En effet, dans le cadre des contrats de type conception-construction, la définition du niveau d’implication attendu du Propriétaire ou de l’IP dans la revue de conception manque souvent de clarté. Si une participation accrue peut être rassurante pour le Propriétaire, une implication excessive de ce dernier risque, au contraire, d’entraver la capacité du Design-Constructeur à assurer la qualité requise, à respecter l’échéancier, et à respecter les budgets. Une telle ingérence peut également créer un flou quant à la responsabilité ultime de la conception entre le Design-Constructeur et l’IP2.

Afin de prévenir d’éventuels différends, retards ou dépassements de coûts qui pourraient découler de la revue de conception du Design-Constructeur par le Propriétaire ou l’IP, le contrat devrait clairement définir les points suivants relativement au processus de revue de conception :

  • Quels éléments seront soumis à la revue?
  • Quelle forme prendra le processus de revue?
  • Comment seront définis le début et la fin des revues?
  • Quelles ressources seront nécessaires pour la revue?
  • Comment les changements seront-ils gérés?

Si ces considérations sont importantes pour tous les projets, quels que soient leur nature et leur mode de réalisation, elles sont particulièrement cruciales pour les projets réalisés en mode conception-construction.

Quels éléments seront soumis à la revue?

Le volume de documents associés à la revue de conception peut varier considérablement d’un projet à l’autre. Des milliers de documents peuvent être échangés entre les parties aux fins de revue. Chaque document pourra faire l’objet de nombreuses itérations – élaboration, soumission, commentaires – avant d’atteindre un niveau d’achèvement jugé satisfaisant.

Le processus de revue devrait être limité à l’examen des documents de conception du Design-Constructeur strictement nécessaires à l’évaluation du Propriétaire ou de l’IP, et éviter de dédoubler le travail déjà effectué par le Design-Constructeur dans le cadre de sa propre revue interne de la qualité.

S’assurer qu’une portée de revue claire et concise soit définie dans le contrat entre le Propriétaire et le Design-Constructeur — où seront précisés les types de documents à examiner ainsi que leur format — peut contribuer à garantir que le processus de revue corresponde à ce que le Design-Constructeur avait planifié et budgété à l’étape de l’appel d’offres.

Quelle forme prendra le processus de revue?

Les parties devraient avoir une compréhension commune de la manière dont elles collaboreront et communiqueront tout au long du processus de revue de conception. Une telle clarté permet de prévenir toute ingérence involontaire ou indue de la part du Propriétaire ou de l’IP.

Le contrat devrait être particulièrement précis dans la définition du rôle et des responsabilités de l’IP dans le processus de revue de conception. D’autres parties, notamment d’autres intervenants prenant part au projet ainsi que des certificateurs indépendants, pourraient également être amenées à examiner les différents documents soumis. Le cas échéant, ces parties devront être clairement identifiées, et leurs rôles et responsabilités définis.

Les termes officiels que l’IP devra utiliser dans sa revue, ainsi que leur signification, devraient être définis au contrat. Parmi les exemples de terminologie employée dans divers contrats de conception-construction, PPP ou IAC, on trouve entre autres « Revu », « Revu avec commentaires », « Rejeté », ainsi que l’émission d’« Avis de non-objection » ou d’« Avis de non-conformité contractuelle ». Le contrat devra également préciser si la revue par l’IP des documents soumis par le Design-Constructeur est une condition préalable au démarrage des phases subséquentes de conception, d’approvisionnement, de fabrication ou de construction. Les contrats de conception-construction permettent souvent au Design-Constructeur de procéder, mais à ses propres risques, puisque généralement, aucune des remarques formulées par l’IP dans le cadre de sa revue n’a préséance sur l’obligation du Design-Constructeur d’assumer l’entière responsabilité de la conformité de la conception.

Comment seront définis le début et la fin des revues?

En fonction de la complexité du projet, l’IP devra bénéficier d’un délai raisonnable pour procéder à la revue des livrables du Design-Constructeur. En règle générale, au moins une soumission est requise à différentes étapes de l’avancement de la conception.

Un échéancier encadrant la revue, avec des délais précis fixés par le Propriétaire et acceptés par le Design-Constructeur, devrait être inclus au contrat. En complément, on pourrait envisager l’élaboration de descriptions narratives de conception  ainsi que la tenue de réunions de revue de conception planifiées. Ces mesures permettent de mieux suivre l’évolution du développement de la conception tout au long du déroulement du projet, tout en accélérant le processus de revue et en offrant à l’IP un espace pour poser ses questions.

Quelles ressources seront nécessaires pour la revue?

En s’appuyant sur l’échéancier du Design-Constructeur, l’IP peut anticiper les ressources qui seront nécessaires à la revue de conception. Des soumissions tardives peuvent perturber ses prévisions. De même, des resoumissions imprévues de dossiers de conception peuvent rapidement désorganiser la planification des ressources du Design-Constructeur. De ce fait, l’IP devrait limiter autant que possible les demandes non essentielles de resoumissions au Design-Constructeur.

Un processus de soumission simplifié et restreint aux éléments essentiels permet d’accélérer la revue et de réduire le nombre de resoumissions, tout en respectant les exigences contractuelles. Cette approche structurée garantit à toutes les parties prenantes du projet des gains considérables, tant en termes de temps et d’efforts investis qu’au niveau des coûts.

Comment les changements seront-ils gérés?

Des processus rigoureux de gestion des changements sont essentiels pour encadrer l’administration et la documentation des changements qui peuvent survenir au cours du projet. Ceux-ci garantissent que chaque changement est adéquatement évalué, approuvé et mis en œuvre, préservant ainsi l’intégrité de la conception initiale et des ententes contractuelles. Dans cette optique, le contrat devrait énoncer en détail les procédures de gestion des changements.

S’ils ne sont pas adéquatement gérés, les changements introduits au cours du processus de revue de conception risquent d’entraîner une dérive du cadre contractuel et de perturber l’échéancier ou le budget du projet. Le processus de revue de conception ne doit donc pas être utilisé pour demander des modifications à la conception du Design-Constructeur, sauf en cas de non-conformité au contrat.

Conclusion

Comparées à celles des projets réalisés en mode conception-soumission-construction, les relations entre les parties dans les projets en mode conception-construction peuvent être particulièrement complexes et interconnectées, notamment en ce qui concerne le processus d’élaboration et de revue de la conception. En raison de cette complexité, ce dernier présente donc un risque élevé de différends.

Une définition claire du rôle, des responsabilités et de ce qui est attendu de l’IP, ainsi qu’un processus de révision de conception clairement défini dans les documents contractuels, peuvent grandement contribuer à réduire le risque que des différends, des retards et des dépassements de coûts ne fassent obstacle au succès du projet.

  1. Tel que défini par le Comité canadien des documents de construction.
  2. Michael C. Loulakis, « Unique Design-Build Contracting Issues », dans R. F. Cushman et M. C. Loulakis (éd.)., Design-Build Contracting Handbook, seconde édition, New York (NY), Aspen Law & Business, 2001, section 1.07[B], p. 20-21. (Construction Law Library)
  3. Une description narrative de la conception est un outil qui aide celui qui en fait la revue à mieux comprendre les intrants et extrants de conception d’un dossier de conception spécifique, ainsi que son interface avec d’autres composants techniques et disciplines dans le cadre du projet.

Partagez au Bulletin Revay

Abonnez-vous au
Bulletin Revay.

Vous pouvez retirer votre consentement à tout moment en faisant parvenir un courriel à bulletin@revay.com

Pour s'abonner