Les échéanciers de construction : Revisiter les bases
D’après l’expérience de l’auteur dans ce domaine, l’élaboration et l’utilisation d’échéanciers de construction efficaces reposent sur quatre piliers principaux : (i) un planificateur détenant une expérience suffisante dans l’industrie et une présentation claire de l’échéancier pour en assurer la bonne compréhension; (ii) la prise en compte de facteurs externes dans l’environnement plus large du projet (tels que la contribution des parties prenantes, les problèmes de chaîne d’approvisionnement, la réglementation, les conditions météorologiques inhabituelles ou les problèmes d’accès); (iii) l’intégration adéquate du processus de conception, lorsque nécessaire (inclusion d’éléments critiques de la conception, nécessité d’un « gel » de la conception, et les défis liés à la nature itérative de la conception); et (iv) le recours actif à l’échéancier comme outil de prédiction des besoins futurs du projet et de ses possibilités de succès par la mise à jour régulière de l’échéancier, le suivi des coûts et des données de productivité, de même que la réalisation d’analyses des risques liés à l’échéancier. Cet article traite du premier de ces principaux piliers.
Introduction
Les projets de construction deviennent de plus en plus vastes et complexes. Pour faire face à cette complexité, nous décomposons les projets en lots de travail individuels afin que les activités qui doivent être réalisées puissent être clairement définies, communiquées et comprises. Le recours aux échéanciers de construction nous permet d’atteindre ces objectifs.
Les échéanciers de construction varient en complexité, allant d’un simple diagramme de Gantt d’une page (ou d’une liste de jalons), comme celui de la Figure 1, à des échéanciers comportant plusieurs milliers d’activités, développés à l’aide de logiciels de planification comme Microsoft Project ou Primavera (« P6 »).

Figure 1 - Exemple d’échéancier sous forme de diagramme de Gantt
Des outils supplémentaires, tels les échéanciers linéaires¹, sont souvent utilisés dans le cadre de grands projets d’infrastructure linéaire, par exemple les autoroutes, les ponts, les pipelines, les tunnels et les chemins de fer. La Figure 2 en montre un exemple.
Peu importe le choix du logiciel ou la complexité de l’échéancier, il n’en reste pas moins que les échéanciers de construction prévisionnels partagent tous une même caractéristique : ils sont imparfaits. Ceux-ci se limitent en effet à n’être qu’une représentation de ce que nous voulons que la réalité soit, et nous nous efforçons de rendre cette vision aussi réaliste et fiable que possible. Des échéanciers fiables sont aussi importants pour les entrepreneurs, qui sont presque toujours exposés à des pertes financières s’ils ne parviennent pas à respecter les échéances contractuelles, que pour les maîtres d’ouvrages, qui s’appuient également sur les échéanciers pour planifier, financer et gérer leurs portefeuilles de projets.
Afin de préparer des échéanciers de construction fiables, de qualité et dont la présentation est facile à comprendre par les différentes parties prenantes au projet, un certain niveau d’expérience et d’effort est requis. Ce sont ces exigences particulières qui font l’objet du présent article.

Figure 2 - Exemple d’échéancier linéaire
Différence entre planification et ordonnancement
Bien que les termes de planification et d’ordonnancement soient souvent utilisés de manière interchangeable et qu’ils recouvrent des concepts interreliés, ceux-ci n’en sont pas moins fondamentalement différents.
Le processus de planification « comporte le choix de la technologie, la définition des activités, l’estimation des ressources et des durées requises pour les activités individuelles, et la détermination de toute interaction entre les différentes activités. Un bon plan de construction constitue la base sur laquelle sont élaborés le budget et l’échéancier des travaux². »
Dans le domaine de la construction, l’ordonnancement est, entre autres, le « [p]rocessus de conversion du plan général ou schématique d’un projet en un échéancier inscrit dans une échelle temporelle, en fonction des ressources disponibles et des contraintes de temps³. » En d’autres termes, l’ordonnancement consiste à placer les activités, les ressources et la logique définies lors de la phase de planification sur une échelle de temps. L’échéancier de construction peut ensuite être utilisé comme un outil pour visualiser l’enchaînement des activités d’un projet, effectuer le suivi de leur avancement pendant la construction et prévoir l’impact des changements et des événements perturbateurs, ce qui se fait généralement à l’aide de logiciels et autres outils de planification informatisés.
Afin d’élaborer des échéanciers de construction fiables et réalistes, les processus de planification et d’ordonnancement doivent être étroitement alignés, et les hypothèses qui ont sous‑tendu le processus de planification doivent être reflétées dans les échéanciers.
Qualité des échéanciers
Il n’existe pas de définition universellement reconnue de ce qui constitue un échéancier de construction de bonne qualité. Cependant, diverses organisations de l’industrie publient leurs propres lignes directrices par lesquelles elles préconisent ce qu’elles considèrent comme les exigences essentielles d’un tel échéancier⁴. Ces lignes directrices recommandent généralement que les échéanciers soient établis de manière logique; qu’ils contiennent des liens logiques solides entre les activités; qu’ils utilisent des durées réalistes; et qu’ils minimisent l’utilisation de contraintes artificielles car celles-ci peuvent nuire au calcul adéquat du chemin critique d’un projet⁵.
Certains fournisseurs de logiciels de planification proposent des outils qui sont censés pouvoir mesurer la qualité d’un échéancier. Cela dit, ces outils doivent être utilisés avec prudence car leurs résultats prennent rarement en compte les quatre principaux piliers nécessaires à l’élaboration et à l’utilisation d’échéanciers efficaces mis de l’avant par l’auteur dans l’introduction de cet article.
Importance de l’expérience des planificateurs pour l’élaboration d’échéanciers fiables
Il est logique de penser que les dividendes potentiels d’un échéancier seront directement proportionnels au niveau d’effort et à la qualité de l’information qui ont sous-tendu son élaboration. Dans cette optique, le niveau d’expérience et de connaissances des planificateurs est un facteur clé.
Bien qu’une connaissance technique de base des logiciels de planification puisse suffire à élaborer des échéanciers de construction ou de conception, il est par contre nécessaire de détenir de l’expérience dans l’exécution des activités de construction ou de conception, incluant leurs relations et contraintes ou limitations, pour développer un plan fiable.
À une extrémité du spectre, les échéanciers peuvent être élaborés par des planificateurs aptes à « piloter » le logiciel, mais qui ont relativement peu d’expérience dans l’exécution des activités de construction ou de conception. S’ils sont utilisés comme base pour démontrer des retards, des perturbations ou l’impact de changements, de tels échéanciers risquent de prêter le flanc à la contestation, et leur usage doit donc, autant que possible, être évité.
À l’autre bout du spectre, les échéanciers peuvent être élaborés par du personnel détenant une expérience appréciable non seulement de l’utilisation du logiciel de planification, mais également de l’exécution des activités de construction ou de conception. De tels échéanciers sont plus susceptibles de pouvoir être défendus lorsqu’ils servent de base à la démonstration de retards, de perturbations ou de l’impact de changements. Dans la mesure du possible, un entrepreneur doit tenter d’élaborer des échéanciers qui se situent à cette extrémité du spectre des capacités du planificateur.
Au milieu de ce spectre, les échéanciers sont élaborés avec un niveau raisonnable d’expérience ou de connaissances, tant des logiciels de planification que de l’exécution des activités de construction ou de conception. Bien que souvent d’une fiabilité acceptable, ces échéanciers risquent toutefois de présenter un certain niveau de faiblesse technique et ils ne sont ainsi pas complètement à l’abri de la contestation.
D’après l’expérience de l’auteur, la plupart des échéanciers de construction au Canada se situent dans cette catégorie du « mi‑chemin du spectre ».
Sur la base de ce qui précède, dans les cas où les entrepreneurs ne disposent pas à temps plein de ressources de planification professionnelles spécialisées, le recours à une expertise indépendante afin de renforcer leurs compétences de planification pour les soumissions importantes, ainsi que pour le suivi et la mise à jour des échéanciers pendant l’exécution de leurs projets, s’avère presque toujours un bon investissement.
Importance de l’alignement entre le plan et l’échéancier
Une bonne planification est un élément essentiel de l’estimation. L’expérience collective de l’équipe d’un entrepreneur, y compris celle de ses sous-traitants (et les concepteurs pour les projets de conception-construction ou de PPP), a une incidence importante sur le potentiel qu’a un projet d’être construit de manière économique et efficace. En effet, pour qu’un plan de construction, une estimation et, enfin, un échéancier de construction soient fiables, le personnel de l’entrepreneur doit tenir compte des limites de performance liées à la main-d’œuvre, aux matériaux, à l’équipement, et, le cas échéant, à d’autres intervenants du projet (par exemple, les concepteurs).
Afin d’élaborer des échéanciers de construction fiables et réalistes, les processus de planification et d’ordonnancement doivent être étroitement alignés
En général, le plan élaboré par l’entrepreneur au stade de l’estimation et l’échéancier de construction doivent être étroitement alignés car, ultimement, ils doivent tous deux refléter les mêmes informations, hypothèses et objectifs propres au projet. Cet alignement visé n’est cependant pas toujours réalisé, par exemple lorsque ce sont des groupes d’intervenants différents qui prennent part à l’étape de l’estimation et à celle de l’élaboration de l’échéancier au moment des négociations contractuelles (ou peu après l’octroi du contrat).
Il est important que le plan élaboré par l’entrepreneur à l’étape de l’estimation soit employé comme point de référence dans l’élaboration de l’échéancier. Autrement dit, il est clair que l’échéancier ne devrait pas être élaboré de façon isolée. Il est toujours avantageux que les intervenants qui ont pris part à la planification au stade de l’estimation du projet soient également impliqués dans le processus d’élaboration de l’échéancier, ou, à tout le moins, qu’ils soient consultés, et ceci est d’autant plus vrai lorsque ce processus prend place après l’octroi du contrat.
Importance d’un échéancier fiable en cas de réclamation
L’acceptation de l’échéancier d’un entrepreneur par le maître de l’ouvrage ne signifie pas pour autant que ce dernier ait donné son accord quant à l’ensemble de la logique de construction, des contraintes et des durées des activités envisagées par l’entrepreneur. En conséquence, il est important que l’échéancier soit aussi fiable et réaliste que possible.
Bien que les échéanciers élaborés aux premiers stades du projet (par exemple, un échéancier de soumission présenté avec l’offre de l’entrepreneur, ou un échéancier de référence / « baseline » présenté peu après l’octroi du contrat) puissent être, et sont généralement, étoffés par l’ajout de nombreuses autres activités au fur et à mesure de l’avancement des travaux, il n’en demeure pas moins que ces échéanciers (qui intègrent normalement les jalons contractuels) sont généralement utilisés comme base pour évaluer les retards du projet, le cas échéant⁶. En conséquence, l’entrepreneur se doit d’élaborer ces échéanciers avec un haut niveau de rigueur, car dans le cas contraire, des erreurs et omissions fondamentales, ou le manque d’alignement avec le plan de construction élaboré au stade de l’estimation, pourraient revenir hanter l’entrepreneur.
En cas de réclamation ou de différend, un manque d’alignement entre le plan de construction élaboré au stade de l’estimation et l’échéancier peut avoir une incidence sur la capacité de l’entrepreneur à démontrer clairement les prémisses à la base de sa soumission lorsqu’il demandera compensation pour du temps ou de l’argent supplémentaires.
Présentation claire de l’échéancier pour en assurer la compréhension
Les projets de construction sont réalisés par diverses équipes. Plus l’équipe de projet communique efficacement pour assurer la compréhension de l’échéancier à l’interne et à l’externe, plus l’échéancier a de chances de pouvoir jouer son rôle, et plus il y a de chances que le projet soit livré avec succès. L’échéancier est le principal outil de communication d’un projet : un bon échéancier permet en effet de communiquer ce qui doit être fait, par qui et quand.
Adapter les présentations de l’échéancier aux différentes parties prenantes
Il est important de veiller à ce que l’échéancier du projet soit structuré de manière à pouvoir être communiqué à des publics très différents. À un extrême, un conseil d’administration peut ne vouloir rien de plus qu’un résumé d’une page, ou un tableau de bord, afin de comprendre les éléments constitutifs d’un projet, le moment où ils se produisent et ceux qui sont sur le chemin critique. À l’autre extrême, les équipes de gestion de projet de l’entrepreneur et du maître de l’ouvrage au chantier peuvent avoir besoin que toutes les dates de début prévues des activités soient visibles afin que les activités de conception et de construction individuelles puissent être commencées à temps. Cette flexibilité désirable dans la présentation visuelle et le format de l’échéancier est généralement obtenue par le recours à une structure à multi-niveaux, lesquels peuvent être présentés de façon cumulative selon le niveau de complexité souhaité.
Plus l’équipe de projet communique efficacement pour assurer la compréhension de l’échéancier […] plus il y a de chances que le projet soit livré avec succès.
En ce qui concerne le travail quotidien au chantier, la main-d’œuvre étudie rarement l’échéancier général du projet dans le détail. L’entrepreneur aura donc souvent recours à d’autres formats d’échéancier mieux adaptés, comme des listes de tâches quotidiennes et des échéanciers prévisionnels à court terme spécifiques aux divers emplacements des travaux, etc. Ces modes secondaires de présentation de l’échéancier de projet ont également une importance critique.
Descriptifs d’échéanciers
Dans la mesure du possible, les entrepreneurs devraient envisager de produire un descriptif pour accompagner leurs échéanciers de construction. En particulier dans le cadre de projets de plus grande envergure, il n’est pas toujours facile pour une tierce partie de comprendre toutes les hypothèses clés qui sous-tendent un échéancier de construction (telles que l’utilisation de différents calendriers, les marges pour les intempéries, l’utilisation de délais de démarrage et de temps morts (« leads and lags ») entre les activités, les provisions pour les réparations d’équipement, etc.) La plupart de ces éléments sont généralement cachés, sauf pour d’autres professionnels de la planification qui ont accès aux fichiers d’origine. Un descriptif de l’échéancier bien structuré peut transmettre efficacement les hypothèses clés de l’échéancier de l’entrepreneur à un expert dont les échéanciers ne sont pas la spécialité (ce qui – fait crucial – inclut la plupart des autres membres de l’équipe de projet de l’entrepreneur) et peut servir à étayer la position de l’entrepreneur dans le cadre de tout différend qui pourrait éventuellement survenir. Les descriptifs d’échéancier aident à combler le fossé entre les processus de planification et d’ordonnancement.
Conclusion
En conclusion, l’échéancier de construction est un outil de gestion clé pour tout projet de construction. Il est ainsi d’autant plus important qu’il soit fiable et réaliste. Toutefois, les seules compétences techniques en matière d’ordonnancement et de logiciels de planification ne sont pas toujours un gage suffisant pour garantir l’élaboration d’échéanciers fiables et réalistes.
Poursuivre la planification depuis l’étape de l’estimation jusqu’à celle de l’ordonnancement est crucial pour l’élaboration d’un échéancier de bonne qualité. Quel que soit le logiciel utilisé, l’adage bien connu « à données inexactes, résultats erronés » (« garbage in, garbage out ») s’applique à tous les échéanciers de construction. Pour minimiser ce risque, il faudrait ainsi idéalement toujours faire appel aux ressources disponibles qui détiennent le plus d’expérience pour déterminer les durées des activités, ainsi que leurs liens de dépendance.
Il est également important de s’efforcer de rendre l’échéancier facilement compréhensible pour une grande variété de publics par une utilisation adéquate des logiciels de planification les plus appropriés, et le recours à des outils de présentation et à des formats adaptés au contexte. Enfin, autant que possible, les échéanciers et les hypothèses clés devraient également être étayés par un descriptif de l’échéancier détaillé.
D’autres rapports de cette série « Revisiter les bases » aborderont les trois autres principaux piliers identifiés pour l’élaboration et l’utilisation d’échéanciers de construction efficaces : (ii) la prise en compte de facteurs externes dans l’environnement plus large du projet; (iii) l’intégration adéquate du processus de conception; et (iv) le recours actif à l’échéancier comme outil de prédiction des besoins futurs du projet et de ses possibilités de succès.
- Méthode à laquelle on réfère aussi par les termes de « Linear Scheduling Method » (LSM), « line of balance schedules » ou « time chainage », et que l’on appelle aussi en français « diagramme temps-distance » ou « diagramme espace-temps », entre autres.
- Chris Hendrickson, Project Management for Construction : Fundamental Concepts for Owners, Engineers, Architects, and Builders, version 2.2, préparée à l’été 2008 (1re édition, Prentice Hall, avec le co-auteur Tung Au, 1989; 2de édition préparée pour publication en ligne, 2000), https://www.cmu.edu/cee/projects/PMbook/09_Construction_Planning.html. Traduction libre de Revay.
- AACE International, (Draft) Glossary of Terms for Planning and Scheduling Professional (PSP) Certification, Morgantown, WV, AACE International, nov. 2005, cité dans AACE International, Recommended Practice No. 14R-90 Responsibility and Required Skills for a Project Planning and Scheduling Professional, Morgantown, WV, AACE International, 2006, p. 2-3. Traduction libre de Revay.
- Comme celles que préconisent la American Association of Cost Engineering International (AACEi), le Project Management Institute (PMI), l’Association of Project Management (APM) et d’autres organismes semblables.
- Le chemin critique d’un projet représente la plus longue séquence d’activités menant à l’achèvement du projet.
- À moins que ces échéanciers ne fassent ultérieurement l’objet de révisions pour refléter d’éventuels changements, variations, etc.
Le Bulletin Revay est une publication de Revay et associés limitée, une firme canadienne du secteur de la construction se spécialisant dans les services de gestion des réclamations et de règlement des différends. Nous aidons nos clients à voir clair dans les questions complexes. Les articles peuvent être reproduits moyennant mention de la source.
Les principes énoncés dans le présent article sont ceux de l’auteur et peuvent ne pas nécessairement refléter ceux de l’entreprise. L’auteur recommande de consulter un conseiller juridique avant d’appliquer ces principes à des situations réelles.
Vos commentaires et suggestions pour de futurs articles sont les bienvenus.
S.V.P. aviser le bureau de Montréal de tout changement d’adresse ou de destinataire.
Abonnez-vous au
Bulletin Revay.
Vous pouvez retirer votre consentement à tout moment en faisant parvenir un courriel à bulletin@revay.com