février 2023 Vol. 37, no 1

Remédier aux plans et devis incomplets : l’union fait la force!

Introduction

Les plans et devis incomplets, lesquels incluent dans cet article les erreurs et omissions ainsi que les plans et devis ambigus, imposent un lourd fardeau aux projets de construction. Ils sont en effet l’une des principales causes – voire, la cause principale – des différends, car ils peuvent entraîner des changements, des retards et des perturbations, des pertes de productivité, des augmentations de coûts, ainsi que de l’animosité entre les parties.

Ce problème n’est pas nouveau et il a fait l’objet de nombreux articles et publications, par exemple le numéro du Bulletin Revay intitulé « Les documents contractuels incomplets : Conséquences et solutions pratiques », paru en 2010¹. Cet article est devenu un outil de référence largement utilisé dans l’industrie, en particulier par les entrepreneurs, en vue de diminuer l’incidence de certains des facteurs qui sont à l’origine des plans et devis incomplets.

Malgré ces efforts, il s’agit d’un problème qui demeure d’actualité aujourd’hui. On pourrait même dire que les plans et devis incomplets sont encore plus perturbateurs maintenant compte tenu des conditions actuelles du marché, car  pour les entrepreneurs qui doivent déjà faire face aux problèmes majeurs que sont les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et la disponibilité limitée de la main-d’œuvre, la découverte tardive d’erreurs et d’omissions, ainsi que leur résolution tardive, représentent des pressions supplémentaires qui s’exercent sur leurs projets de construction.

Ne serait-il ainsi pas temps, pour les différents acteurs de l’industrie de la construction, de réfléchir au rôle qu’ils jouent, directement ou par inadvertance, dans la perpétuation de ce problème, et de se demander de quelle manière ils pourraient contribuer à le régler? Dans cet article, nous proposons quelques pistes de solutions – principalement applicables aux projets traditionnels réalisés en mode conception-soumission-construction – qui pourraient être envisagées pour : (1) améliorer la qualité des plans et devis; et (2) favoriser des approches plus collaboratives pour le traitement des plans et devis incomplets.

Bien qu’elles ne soient ni nouvelles ni révolutionnaires, ces solutions reflètent ce que nous considérons comme les « meilleures pratiques » dans l’industrie. Pour que ces solutions soient efficaces, elles doivent être adoptées par toutes les parties – à condition, bien sûr, que ces parties soient prêtes à reconnaître qu’il y a effectivement un problème et qu’elles aient réellement le désir d’y remédier.

1) Améliorer la qualité des plans et devis

L’amélioration de la qualité des plans et devis n’est pas un fardeau qui devrait être assumé uniquement par les professionnels de la conception. En fait, le problème vient rarement uniquement des professionnels; il peut en partie résulter de sous-investissement, tant en termes de coût que de temps, aux premières étapes du projet (ce qui peut par la suite conduire à l’introduction de modifications tardives).

Premièrement, en ce qui concerne la composante du coût, certains maîtres d’ouvrages, peut-être en raison de contraintes budgétaires, peuvent choisir de limiter  leur investissement dans l’effort de conception afin de maximiser l’investissement dans la construction. L’allocation de plus de fonds à la conception et la coordination de la conception entre les différentes disciplines peut grandement contribuer à diminuer les changements et dépassements de coûts pendant la construction. Il pourrait ainsi être opportun pour les maîtres d’ouvrages d’adopter une perspective à plus long terme, et d’envisager la conception comme ayant une importance capitale, au lieu de ne la voir que comme une simple dépense. Dans cette optique, il faudrait que l’embauche des professionnels se fasse non pas sur la base des honoraires les plus bas, comme c’est souvent le cas pour les projets publics, mais plutôt en fonction de leur compétence et de la qualité de la conception qu’ils proposent. Les professionnels devraient en outre être rémunérés par des honoraires équitables pour leurs services de conception, y compris ceux qui ont trait à la coordination de la conception et aux changements. En ne rémunérant qu’au strict minimum le travail de conception initial, les maîtres d’ouvrages ne poussent-ils pas les professionnels à ne faire également que le strict minimum? Et pour leur part, les professionnels ne se devraient-ils pas de refuser d’accepter des mandats irréalistes et insuffisamment rémunérés?

Deuxièmement, en ce qui concerne la composante de temps, les maîtres d’ouvrages peuvent certes réduire le calendrier des phases de conception et de construction et ainsi réaliser leurs projets en mode accéléré, mais cela aboutit dans la plupart des cas à des impacts négatifs sur l’échéancier. En effet, des facteurs politiques ou économiques peuvent parfois obliger les décideurs à démarrer le chantier avant que la conception ne soit terminée, et ce, sans nécessairement qu’ils aient pris la mesure  de l’impact global qui peut en découler. Il est donc important d’allouer suffisamment de temps au début du projet pour que la conception puisse être terminée, ou, du moins, aussi avancée que possible, avant le début de la construction. Les projets pourraient grandement bénéficier d’une phase de conception durant laquelle  celle-ci pourrait être élaborée, examinée, coordonnée entre les différentes disciplines, révisée, modifiée, etc., jusqu’à ce que toutes les parties soient satisfaites de la conception finale. Par exemple, selon les meilleures pratiques, le maître de l’ouvrage devrait :

  • Inclure dans son contrat avec les professionnels un calendrier de conception détaillé et en assurer un suivi adéquat. Ce calendrier devrait décrire les jalons importants de la conception, ainsi que les périodes consacrées à sa coordination, à l’examen par le maître de l’ouvrage, et à de possibles révisions, etc.;
  • Veiller à ce que les professionnels aient suffisamment de temps pour élaborer leur conception et d’en effectuer la coordination avec les différentes disciplines;
  • Prendre le temps de faire examiner la conception par les membres clés de l’équipe du maître de l’ouvrage, y compris le personnel d’exploitation et d’entretien;
  • Porter une attention particulière à l’impact des changements demandés lors de la phase de conception et donner aux professionnels les outils (temps et argent) requis pour assurer la bonne gestion de ces changements;
  • S’assurer qu’un examen de constructibilité est effectué avant que la conception ne soit terminée.

Comme en témoignent les points soulevés ci-dessus, une collaboration étroite est nécessaire entre le maître de l’ouvrage et les professionnels, lesquels, au bout du compte, sont responsables de la qualité globale de la conception.

Les professionnels sont membres d’ordres professionnels qui exigent d’eux qu’ils agissent avec compétence, intégrité et diligence. Ils sont tenus d’agir en tout temps en conformité avec les règles de l’art, selon le comportement d’un professionnel raisonnable, prudent et diligent, mais non infaillible, comme expliqué ci-dessous :

 Sauf stipulation expresse dans le contrat de services professionnels, dans tout travail exécuté pour un client, l’architecte et l’ingénieur doivent faire preuve de la compétence, de l’attention et de la diligence auxquelles on peut raisonnablement s’attendre de la part d’un professionnel de compétence normale, le tout dans le respect des normes professionnelles en vigueur².

Toujours dans cette optique, il est ainsi légitime que le niveau d’attente des parties prenantes quant à la qualité de la conception que doivent fournir les professionnels soit à la mesure des normes professionnelles auxquelles ceux-ci sont tenus de se conformer.

De plus, les professionnels doivent veiller à ne jamais perdre de vue la réalité des répercussions que peuvent avoir des plans et devis incomplets sur la réalisation des travaux, comme, entre autres, les retards, perturbations et dépassements de coûts.

2) Favoriser des approches plus collaboratives pour le traitement des plans et devis incomplets

Au-delà des solutions qui pourraient être apportées au problème des plans et devis incomplets  durant la phase de conception même, il serait également possible d’améliorer le traitement de ce problème lors de la phase d’appel d’offres ou en cours de construction. La clé pour y parvenir est la communication : une communication honnête, professionnelle et raisonnable de la part de toutes les parties concernées. Serait-il possible pour les parties de travailler ensemble pour trouver rapidement des solutions grâce à la prompte notification des problèmes, l’évaluation juste des impacts, ainsi que par la coopération?

Durant la phase d’appel d’offres, si l’entrepreneur découvre des erreurs, des omissions ou des incohérences dans les plans ou devis, il devrait en informer le maître de l’ouvrage par des demandes de clarification. Cela permettrait aux professionnels de remédier aux erreurs tôt dans le processus (c’est-à-dire avant même que le contrat de construction ne soit attribué), et permettrait aussi à l’entrepreneur de soumissionner le travail de manière plus précise et équitable.

Pendant la phase de construction, selon les meilleures pratiques, l’entrepreneur devrait :

  • Élaborer des dessins de coordination tôt dans le processus  afin de pouvoir déceler les problèmes potentiels dès que possible;
  • Informer le maître de l’ouvrage ou les professionnels des erreurs, omissions ou incohérences dès qu’elles sont découvertes, généralement par le recours au processus de questions et réponses techniques (RFI);
  • Informer le maître de l’ouvrage dans les plus brefs délais de l’impact des erreurs, omissions ou incohérences sur le budget et sur l’échéancier du projet;
  • Assurer un suivi adéquat des coûts supplémentaires entraînés par des plans et devis incomplets.

Tel que mentionné dans les points ci-dessus, il est important que le maître de l’ouvrage et les professionnels soient informés de l’impact que des plans et devis incomplets pourraient avoir sur le projet afin qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause et agir en temps opportun. L’évaluation de l’entrepreneur devrait porter sur les impacts des plans et devis incomplets sur la mise à jour contemporaine de l’échéancier (par exemple, à l’aide d’une analyse des incidences sur l’échéancier ou time-impact analysis), et être accompagnée d’un texte explicatif décrivant l’échéancier et les impacts identifiés. Il est souvent difficile d’estimer les impacts de manière anticipative et la réalité peut se révéler différente même des meilleures prévisions. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas de changements multiples, comme ceux-ci peuvent entraîner un impact cumulatif qu’il n’était pas possible de prévoir. Nonobstant ce qui précède, l’entrepreneur se doit de fournir au maître de l’ouvrage sa meilleure évaluation contemporaine possible des impacts potentiels, indiquant par exemple que si une telle approbation est reçue à la date X, l’activité Y sera retardée de Z jours, retardant ainsi (ou non) l’achèvement du projet.

L’évaluation de l’entrepreneur doit être juste et raisonnable, et les professionnels doivent assumer la responsabilité qui leur incombe pour la part des impacts qui découle de problèmes de conception.

Le même principe s’applique aux modifications de conception tardives. Dès que l’entrepreneur entrevoit qu’une modification tardive de la conception pourrait avoir des répercussions sur l’échéancier, il doit rapidement en aviser le maître de l’ouvrage ou les professionnels. Les professionnels et les maîtres d’ouvrages doivent pour leur part garder à l’esprit que le fait d’introduire des changements tardivement dans le déroulement du projet risque de décupler l’ampleur de leur impact sur l’échéancier.

Conclusion

Les projets réussis nécessitent la collaboration de toutes les parties dans la poursuite d’un objectif commun. Dans un monde idéal, les parties devraient pouvoir compter les unes sur les autres et avoir des attentes raisonnables les unes envers les autres. Un maître de l’ouvrage devrait pouvoir s’attendre à ce que la conception soit conforme aux normes applicables, et un entrepreneur qui soumissionne pour un projet devrait pouvoir s’attendre à ce que la conception qu’on lui fournit soit effectivement constructible. Enfin, et c’est là le plus important, les parties se doivent d’user de bonne foi les unes envers les autres, et de communiquer et collaborer en vue de mener à bien le projet.

  1. Bob Keen, « Les documents contractuels incomplets : Conséquences et solutions pratiques », dans Le Bulletin Revay, vol. 29, no 1 (mars 2010).
  2. Beverley M. McLachlin et Arthur M. Grant, The Canadian Law of Architecture and Engineering, 3e édition, Toronto, LexisNexis Canada, 2020, p. 131. Traduction libre par Revay.

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