Un chemin vers des dates d’achèvement de projet plus réalistes
Échéanciers CPM traditionnels versus échéanciers CPM ajustés en fonction des risques
Introduction
Plusieurs études de l’industrie révèlent que le respect des échéanciers et des dates d’achèvement contractuelles est un problème généralisé qui existe depuis longtemps et qui continue à affecter les projets de construction1. Les conclusions de ces études montrent que seule une petite partie des projets ont pu, ou sont presque arrivés à respecter leurs échéanciers initiaux2.
Ces constats demeurent d’actualité aujourd’hui, comme en témoigne un sondage de 2021 sur l’état de la construction à l’échelle mondiale :
Depuis les 20 ans que nous étudions les performances des maîtres d’ouvrages et des entreprises d’ingénierie et de construction, nous n’avons jamais perdu de vue leurs objectifs fondamentaux : livrer des projets de haute qualité dans le respect des délais et des budgets. […] Cependant, la complexité croissante des projets, de même que la pression pour construire plus grand, plus vite et de manière plus rentable, ont outrepassé la capacité à contrôler les risques, les coûts et les échéanciers, entraînant des échecs continus – parfois, malheureusement, à une échelle épique3.
Ces études, dont les constats sont vérifiés par la propre expérience de Revay, suggèrent qu’il peut y avoir de nombreux problèmes sous-jacents qui empêchent les projets d’être achevés à temps. Parmi ceux-ci, l’un des plus importants est celui du caractère raisonnable de la méthode à partir de laquelle l’échéancier et la date d’achèvement contractuelle sont établis. Dans certains cas, il peut être possible d’améliorer la façon dont les échéanciers de construction sont élaborés et, en fin de compte, la méthode d’établissement des dates contractuelles d’achèvement des projets.
Historiquement, les échéanciers de construction ont été élaborés à l’aide de méthodes d’ordonnancement simples, basées sur une logique et des durées d’activités distinctes, et qui utilisent le plus long chemin ininterrompu (le chemin critique) pour déterminer la date d’achèvement du projet la plus hâtive.
Ces échéanciers traditionnels basés sur la méthode du chemin critique (« CPM »), communément appelés « échéanciers déterministes », sont encore largement utilisés dans l’industrie de la construction, tant par les maîtres d’ouvrages (pour établir des dates contractuelles d’achèvement au stade de la conception ou de l’appel d’offres) que par les entrepreneurs (en tant qu’outil de gestion de leurs projets). En fait, la plupart des échéanciers de construction sont aujourd’hui des échéanciers CPM traditionnels, avec une durée totale fixe.
De tels échéanciers ne sont exacts que si chaque activité commence à temps et ne dure qu’exactement aussi longtemps que ce qui était prévu. De plus, ces échéanciers CPM traditionnels ne tiennent pas compte des incertitudes. Ceux-ci ne permettent donc pas d’avoir une perspective plus approfondie quant à l’impact d’éventuelles variations4 de durées et de logique sur le chemin critique de l’échéancier et, en aval, sur la date d’achèvement du projet. Lorsqu’il s’agit de projets de grande envergure complexes, comprendre ces aspects est essentiel.
C’est donc dans cette optique que nous suggérons que les différents acteurs de l’industrie adoptent une perspective plus large quant à l’ordonnancement. Les entrepreneurs tout autant que les maîtres d’ouvrages gagneraient à utiliser des échéanciers qui rendent possible une compréhension plus approfondie des impacts que pourraient avoir les risques inhérents à leurs projets. De tels échéanciers pourraient aider les parties à établir des dates d’achèvement contractuelles plus réalistes, ce qui pourrait grandement contribuer à limiter les différends découlant de réclamations pour retards.
Échéanciers CPM ajustés en fonction des risques
Une autre méthode que l’ordonnancement CPM traditionnel consiste à effectuer une analyse des risques de l’échéancier (« Schedule Risk Analysis », en anglais, ou « SRA »), qui est une méthodologie d’ordonnancement consistant à modéliser une gamme d’incertitudes qui peuvent affecter les durées des activités ainsi que d’autres facteurs de risque. De tels échéanciers ajustés en fonction des risques, communément appelés « échéanciers probabilistes », peuvent donner des informations supplémentaires aux spécialistes de l’ordonnancement et aux commanditaires de projets sur les impacts que des durées d’activité variables ou des chemins critiques alternatifs pourraient avoir sur la date d’achèvement, notamment grâce à l’utilisation de différents paramètres, tels l’indice de criticité, l’indice de sensibilité à la durée et l’indice de crucialité5. Les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques permettent aux parties d’établir une date d’achèvement plus probable, et de définir les activités susceptibles de perturber l’échéancier afin qu’elles puissent être étroitement surveillées.
Les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques ne sont pas un nouveau concept. La technologie requise pour élaborer des échéanciers CPM ajustés en fonction des risques est disponible depuis longtemps et ces types d’échéanciers sont utilisés de longue date entre autres par les secteurs industriels minier et pétrolier et gazier. Toutefois, dans l’ensemble des autres secteurs de l’industrie de la construction, leur utilisation n’est pas répandue.
Élaboration d’échéanciers CPM ajustés en fonction des risques
Les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques sont élaborés en effectuant plusieurs simulations (généralement plus de 2 000). Pour chaque simulation, le logiciel d’ordonnancement sélectionne au hasard des durées d’activités à partir d’une plage de variables. Ces variables sont basées sur le profil de distribution de probabilité – durée pessimiste (maximale), durée la plus probable, et durée optimiste (minimale).
Lors de chaque simulation, les dates de début et de fin des activités6 ainsi que la durée globale du projet et la date d’achèvement sont calculées7.
Une fois les cycles de simulation terminés, les résultats (c.-à-d. la durée globale ou la date d’achèvement du projet) sont présentés sous forme d’histogrammes et de courbes en S avec une plage de différentes durées de projet ou de dates d’achèvement probables, et à chacune de ces valeurs est assigné un facteur de probabilité d’occurrence.
Étude de cas
Afin de mieux comparer les échéanciers CPM traditionnels et les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques, un exemple simple portant sur la construction d’une école est présenté ci-dessous. L’on notera qu’à part la variabilité de la durée des activités, cet exemple n’aborde pas les nombreux autres risques inhérents et incertitudes communs aux grands projets complexes (risques liés aux conditions météorologiques, conditions de chantier différentes, faisabilité de la conception, obtention des permis et des licences, séquences d’activités complexes, etc.).
Cela dit, ces risques pourraient tous être modélisés à l’aide des échéanciers CPM ajustés en fonction des risques.
Élaboration de l’échéancier CPM traditionnel et de l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques
Un échéancier CPM traditionnel a été élaboré sur la base des paramètres suivants :
- L’échéancier comprenait 117 activités.
- Les dates de début et de fin de l’échéancier étaient le 17 janvier 2022 et le 4 octobre 2023.
- La durée du projet a été établie à 626 jours calendaires.
- 39 activités (soit 33 % de toutes les activités) se trouvaient sur le chemin critique.
Cet échéancier CPM traditionnel a ensuite été exporté vers un logiciel d’ordonnancement et des simulations ont été effectuées pour élaborer un échéancier CPM ajusté en fonction des risques. Les durées des activités ont été modélisées sur la base d’une durée minimale (-5 %), maximale (+10 %), et la plus probable. Les résultats pour la durée du projet et la date d’achèvement ont été présentés sous forme d’histogrammes avec une courbe en S. L’histogramme et la courbe en S pour la durée du projet dans cet exemple sont illustrés à la Figure 1 .

Figure 1 – Histogramme et courbe en S pour les plages probables de durée du projet
Comparaison des échéanciers de l’étude de cas
Comme le montre la Figure 1, selon l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques, la probabilité que le projet soit réalisé en 626 jours calendaires tel que déterminé par l’échéancier CPM traditionnel est inférieure à 1 %.
La Figure 1 indique également que selon l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques, la durée du projet serait de 654 jours calendaires sur la base d’un niveau de confiance de 50 % (50 % de la valeur de la courbe en S), soit 28 jours calendaires de plus que la durée déterminée par l’échéancier CPM traditionnel.
L’équipe de gestion de projet d’un maître d’ouvrages ou d’un entrepreneur peut viser un niveau de confiance d’au moins 85 % quant à la réalisation de l’échéancier du projet. Dans cet exemple, un niveau de confiance de 85 % représente une durée de projet de 662 jours calendaires, soit 36 jours calendaires de plus que la durée déterminée par l’échéancier CPM traditionnel.
Bien que la discussion ci-dessus sur les fourchettes de durée des projets puisse sembler théorique, il est important de garder à l’esprit que les mêmes concepts s’appliquent également aux dates d’achèvement des projets.
Repenser la date d’achèvement contractuelle
Les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques peuvent aider les parties à comprendre la probabilité que les jalons de l’échéancier du projet soient (ou pas) atteints, l’ampleur des risques liés à l’échéancier et le degré global de variabilité et d’incertitude du projet.
Ces informations sont inestimables à la fois pour les maîtres d’ouvrages et les entrepreneurs. Alors que les échéanciers CPM traditionnels peuvent être suffisants pour les projets simples et de petite à moyenne taille, les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques peuvent être particulièrement bénéfiques pour les projets de plus grandes envergure et complexité. Ces échéanciers CPM ajustés en fonction des risques peuvent constituer l’occasion de revoir notre façon de penser les dates d’achèvement contractuelles.
La Figure 2 montre une comparaison des dates d’achèvement du projet établies par un échéancier CPM traditionnel (en gris) et un échéancier CPM ajusté en fonction des risques (en doré).

Figure 2 – Comparaison de l’échéancier CPM traditionnel et de l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques pour les dates d’achèvement
Comme on peut le voir, sur la base de l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques, la date d’achèvement contractuelle déterminée par l’échéancier CPM traditionnel n’est pas nécessairement la date d’achèvement la plus probable. En fait, il existe une fourchette de dates d’achèvement probables déterminées par l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques qui peuvent être prises en considération.
Quelques réflexions en guise de conclusion
Avant l’étape de l’appel d’offres, les maîtres d’ouvrages pourraient envisager d’utiliser des échéanciers CPM ajustés en fonction des risques afin de mieux comprendre les risques du projet et l’incidence que ceux-ci peuvent avoir sur la date d’achèvement contractuelle spécifiée. Cela pourrait alors les aider à fixer une date d’achèvement contractuelle plus probable d’être respectée, ou même une fourchette de dates d’achèvement contractuelles établies en fonction d’un certain niveau de confiance souhaité.
Pour leur part, les entrepreneurs pourraient également élaborer des échéanciers CPM ajustés en fonction des risques afin de mieux comprendre les risques liés au respect de la date d’achèvement contractuelle spécifiée et d’utiliser les informations obtenues à partir de ces échéanciers pour les aider à estimer la réserve nécessaire pour tenir compte des aléas et, en fin de compte, pour gérer plus efficacement leurs projets.
Comme nous l’avons précédemment évoqué, les échéanciers CPM ajustés en fonction des risques fournissent un niveau supplémentaire d’informations quant à l’incertitude intrinsèque aux échéanciers, ce qui permet aux parties de prendre des décisions plus éclairées. Le recours à ce type d’échéanciers peut être un moyen de prévenir les différends et les réclamations entre les parties en cas de retard dans les projets.
- KPMG International Cooperative, Global Construction Survey 2015 – Climbing the curve; 2015 Global Construction Project Owner’s Survey, 2015, https://assets.kpmg/content/dam/kpmg/pdf/2015/04/global-construction-survey-2015.pdf, consulté le 2023-05-01.
- S. Changali, A. Mohammad et M. van Nieuwland, The construction productivity imperative; How to build megaprojects better, McKinsey & Company, McKinsey Productivity Sciences Center (1er juillet, 2015), https://www.mckinsey.com/business-functions/operations/our-insights/the-construction-productivity-imperative, consulté le 2023-05-01.
- KPMG International, No turning back; An industry ready to transcend – 2021 Global Construction Survey, 2021, https://assets.kpmg.com/content/dam/kpmg/ie/pdf/2021/09/ie-global-construction-survey-2.pdf, consulté le 2023-05-04. (Traduction libre de Revay).
- Des variations de la durée de l’activité peuvent se produire en raison de nombreux facteurs, tels que des taux de productivité prévus non atteints, etc.
- Il s’agit, dans l’anglais des logiciels d’ordonnancement, des paramètres « Criticality Index », « Duration Sensitivity Index » et « Cruciality Index ». Une discussion détaillée de ces indices dépasserait le cadre de cet article.
- Dates de début et de fin hâtives et tardives.
- Ceci est effectué à l’aide de la méthode du chemin critique. Plusieurs chemins critiques différents peuvent être calculés au cours de chaque simulation et il est possible que pour un même projet, les activités qui sont critiques dans l’échéancier CPM traditionnel ne soient pas les mêmes que celles qui sont identifiées comme telles dans l’échéancier CPM ajusté en fonction des risques.
Le Bulletin Revay est une publication de Revay et associés limitée, une firme canadienne du secteur de la construction se spécialisant dans les services de gestion des réclamations et de règlement des différends. Nous aidons nos clients à voir clair dans les questions complexes. Les articles peuvent être reproduits moyennant mention de la source.
Les principes énoncés dans le présent article sont ceux de l’auteur et peuvent ne pas nécessairement refléter ceux de l’entreprise.
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